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Le point de départ de ce projet, qui a mijoté quelques années dans ma tête, était une campagne publicitaire pour la semaine de prévention du décrochage scolaire. Décrocher de quelque chose… s’accrocher à… ç’a raisonné en moi. C’est alors que la grande bardane, communément appelée la plante à toque, m’est venue à l’esprit avec son incroyable capacité à voyager, en s’accrochant à tout ce qui passe à proximité d’elle ! Munie de micro-harpons, d’une efficacité redoutable, cette merveille de la nature qui a inspiré les inventeurs du velcro, mérite toute mon admiration. Elle sait comment survivre ! À présent, avec la progression de phénomènes climatiques violents, l’extinction des espèces et l’érosion de notre propre habitat, la grande bardane, en reine des « mauvaises herbes » trône toujours, non perturbée, sur les champs et aux abords de nos routes. Elle s’accroche, tout naturellement ! Je crois que dans cette leçon de bio mimétisme, nous pouvons puiser une énergie insoupçonnée de résilience et de créativité, pour faire face individuellement et collectivement à ce qui s’en vient…
Uomo bardanum est au bord de la chute, mais il ne lâche rien, ni sa culture, ni ses savoirs, ni ses biens ou ses rêves d’avenir. Il se croit encore futé, le meilleur! Il veut même faire un bond interstellaire en se rendant sur Mars, le grand voyageur de la Voie Lactée! Arqué, il s’accroche avec grâce et se dandine au-dessus du précipice. Son bras est fort, bien accroché à l’arbre du vivant. Le chant de la résilience de la grande bardane qui nous vient du champ rural, ouvre sur un champ de possible, à créer par nous. Un champ et un chant de résilience incarnés par l’Uomo bardanum. Telle est, en résumé, la genèse et l’intention de mon œuvre, Uomo bardanum, que j’ai le bonheur de réaliser dans le cadre de cette résidence de création à IQ L'Atelier.
Sur le plan technique, cette œuvre in situ est une création avec encore beaucoup d'inconnus. Tout d’abord, le lieu d’installation n’est pas encore trouvé et les grandes quantités de bardanes, encore non cueillies. Ma volonté serait d’utiliser 100 % de la bardane pour créer une silhouette surdimensionnée accroché à un arbre avec de la corde de jute, mais il est fort possible que je doive recourir à des stratégies de mitigation, en créant une charpente interne avec du rembourrage pour donner du tonus aux membres du personnage, tout en minimisant son poids. En fabricant des prototypes à l’échelle réduite, j’ai pu constater que l’Uomo bardanum, à partir d’une certaine grosseur, se scindait en deux, sous son propre poids. Donc pour assurer une pérennité certaine et la stabilité de l’œuvre face aux intempéries, je vais avoir recours aux compromis techniques. Le processus de création lui-même est une exploration. Alors, attention, on s’accroche ! TAM, la vôtre – artiste interdisciplinaire biophillique
J’ai envie de « catiner », bichonner, caresser l’herbe folle, la belle tignasse verte de Gaïa! Passer mes mains dans sa velue chevelure jusqu’aux racines. Ce petit lopin de gazon en plaque, oublié par la tondeuse m’a saisie d’émoi dès la première vue. L’idée de peigner les cheveux de Gaïa est devenu irrésistible… Alors, je me suis penchée sur elle avec mon attirail de brosses et de peignes de toutes sortes et je suis entrée dans ce rituel profane, improvisé, d’un geste de tendresse pour la terre. Debout, assise, à cheval, accroupie, j’ai tenté de me faire la plus légère possible pour garder ses boucles intactes. Elle m’a portée patiemment. Pendant que j’ai tressé, en chuchotant, j’ai échangé des confidences avec elle. Mes mains ont bougé avec détermination et avec le désir d’attirer de l’attention sur elle, de lui offrir mon affection, de manifester une parcelle de sa splendeur. En ville, elle est souvent coincée, la pauvre Gaïa. Sa robe piétinée, comme celle de Cendrillon, est pleine de poussière. Des parcs et des espaces verts, si précieux pour la qualité de vie, permettent à Gaïa d’exister un peu plus pleinement, de respirer plus profondément, d’assouplir son corsage d’asphalte et de béton, de défroisser sa robe colorée et d’étaler plus librement sa belle chevelure. Par surcroit, ces espaces nous offrent la possibilité de l’admirer et de communier avec elle à volonté.
Ce projet, déjà quatrième *réalisé en terre almatoise, se balance joyeusement sous la lumière automnale, entre la tendresse et l’occupation spontanée, la vénération et l’espièglerie. Le tressage d’herbe de près de 60 pieds de long est la trace visible de ce moment de proximité vécu entre moi et Gaïa.
Cette œuvre éphémère d’art végétal a pris naissance au Parc Falaise à Alma et elle constitue, en quelque sorte l’œuvre satellite, de l’Uomo bardanum, bien que très différente dans son essence. Je remercie chaleureusement le Monde & Macadam pour le support et tous les usager.es du parc pour des mots d’encouragement et des regards bienveillants. Ce fût pour moi une très belle expérience de création« in situ ».
Tamara Anna Koziej
Artiste biophillique
Tamara Anna Koziej, originaire de Pologne, est formée en pédagogie, en architecture de paysage et en développement durable. Dans son travail artistique multidisciplinaire, elle explore de nombreuses facettes du lien biophilique qui nous unit au monde naturel. En particulier, le jardin comme territoire identitaire et interface sensible de nos projections, où la culture croise la vie organique.
Le bonheur des choses inutiles et éphémères, l’observation admirative du vivant, les gestes simples, la joie imprenable d’être en contact avec la matière brute, de faire partie du cosmos. Tels sont les éléments du processus immersif tributaire de la création de Tamara, qui vit et travaille sur sa ferme florale, au cœur de la Boréalie.
«Ère de glace», mars 2021, Langage plus
«Les arbres colorés», avril 2021, Plaines vertes